L’attaque des îles Saint-Marcouf
Tous ces mouvements clandestins inquiétaient bien évidemment les Normands et les autorités, qui craignaient à juste titre que Saint-Marcouf puisse servir de base avancée pour les Anglais jusque-là indélogeables, malgré des intentions d’attaques, et une tentative aujourd’hui tristement célèbre.
Les 21, 26 août, 2 septembre 1797, et le 27 février 1798, des hommes de troupes furent envoyés au Havre en vue d’une attaque des îles Saint-Marcouf, mais ces soldats furent désarmés au dernier moment. Le général Kléber s’était pourtant intéressé à cette affaire et avait à ce titre correspondu avec Bonaparte.
Un an environ après l’occupation des îles Saint-Marcouf par les Anglais, le capitaine du génie Galbois fit dans sa lettre du 1er juin 1796 la suggestion suivante pour attaquer les dîtes îles :
Les Anglais annoncent toujours mettre beaucoup d’importance à la possession des isles Saint Marcouf, ils continuent activement leurs bâtiments en bois, et leurs ouvrages en terre qui ne font pas encore palissades, ce qui paraît étonnant.
Dans ce moment il n’y a point de bâtiments de guerre aux isles, vraisemblablement à cause qu’il n’y a plus de Français dans le
port de la Hougue, une entreprise hardie pourrait très bien avoir d’heureux succès et être fort peu entravée.
600 hommes embarqués dans les bateaux pêcheurs de la Hougue, d’Isigny, et de Grandcamp (trois points à peu prés également distants des îles) se réunissant au point du jour sous la volée du canon des isles et mettant pied à terre de tous côtés réussiraient infailliblement à s’en rendre maître avec la bayonnette seulement, sans perdre beaucoup de monde, même avant qu’ils eussent le temps de se disposer à la défensive, mais la clef d’une pareille opération, c’est le secret.
(SHAT Art. 8 P.A. )
En 1798 les choses se précisent quant à l’attaque des îles Saint-Marcouf, un rapport fait au Havre le 28 janvier de cette même année par un dénommé Cyriot fait un descriptif des îles, dont voici un extrait (SHAT 1M-1420 ) :
« La garnison des îles se compose d’environ 300 hommes. Sur l’île de terre il y avait un espèce de fort en forme de tour qui suivant le rapport du capitaine Garissard, pilote lamaneur de Fécamp, possède trois batteries : la plus élevée a du canon de 12, celle du milieu du 18, celle du bas du 24. Ce fort domine toute l’île et peut battre de tous côtés de ce fort.
L’île du large, la plus difficile d’accés par les rochers qui l’entourent dans la partie Nord, la mer y est toujours très agitée rendant tout débarquement difficile. Cette île du large a une tour, comme celle de terre suivant le même armement.
L’énnemi a toujours des bâtiments de guerre, et surtout une frégate au mouillage prés des îles ou en croisière aux environs.
D’après cet exposé, je crois qu’il serait téméraire et même contre l’humanité d’exposer des troupes et des marins à tenter le passage du continent aux îles pour s’en emparer de suite.
Cependant, comme tous les bons républicains, je vois avec douleurs les Anglais possesseurs de ces îles, d’ou ils ont la facilité de vomir sur nos côtes des émigrés qui se répandent dans le département du Calvados et de la Manche et entretiènent une coupable correspondance avec l’Angleterre.
Je sais aussi que toute communication est coupée entre le Havre, Cherbourg et d’autres ports, que le Havre est l’entrepôt de tout ce qui nous vient du Nord, ainsi que toutes les munitions navales qui descendent de la Seine pour le service des trois grands ports de la république.
Toutes ces vérités bien senties, il faut voir quels seraient les moyens de s’emparer des dîtes îles.
On avait eu d’abord le projet de s’en emparer avec huit chaloupes canonnières et 1200 hommes de troupes qui auraient été embarqués à la Hougue sur des bateaux de pêcheurs qui y auraient été rassemblés pour cette opération, et en supposant qu’il y aurait sur la rade qu’une seule frégate anglaise à l’ancre, les canonnières auraient été mouillées de nuit auprès de la frégate à portée du canon de 12 ou de 18 puis la couler à fond ou la forcer à appareiller.
La frégate étant coulée, ou partie, on aurait fait signal aux bateaux ou les troupes seraient embarquées, de suivre les canonnières, mais en se tenant hors de portée du canon des îles.
Les canonnières auraient attaquées en deux ou trois endroits les plus faciles au débarquement. Quand elles auraient mit les batteries hors d’état de faire feu, alors on aurait fait approcher les bateaux pour le débarquement, les canonnières continuant de battrent à mitraille le sol au dessus du rivage et même à poudre pendant le débarquement.
Ce projet n’a pu s’exécuter parce que les Anglais ont eu constamment de 4 à 6 frégates aux dîtes îles.
Les projets allaient bon train sans que personne ne prennent de décision pour mettre à exécution cette attaque. D’autres militaires voulaient reprendre les îles saint Marcouf avec une flottille de deux ou trois vaisseaux de guerre qui seraient venus de Brest ou de Lorient pour engager une bataille navale afin de couler les frégates anglaises et seulement après, de procéder audit débarquement suivant la même stratégie que celle décrite dans le précédent projet
Les Anglais se tenaient sur leur garde, et du côté français on estimait que la garnison des îles saint Marcouf se composait de 900 hommes avec un armement de 30 pièces de canons sur une île et de 90 canons sur l’autre.
En réalité l’attaque aura lieu le 18 Floréal de l’an 6 (7 mai 1798 ).
Le 17 floréal le commandant de la flottille armée au Havre mis en rade du port de la Hougue avec sa flottille composée de quinze
chaloupes canonnières, trente bateaux canonniers, deux bombardes et deux avisos, elle a appareillée sous le fort de la Hougue à deux heures de flot pour aller mouiller au Sud-Ouest de l’île de terre à grande portée de canon afin d’avoir la facilité pour donner l’assaut aux îles.
Mais s’étant approché de trop prés des îles, le bruit des avirons donna l’alerte et sur le champs les îles tirèrent deux coups de pièrrier qui n’étaient qu’un signal de convention entre îles, ou pour prévenir un vaisseau, une frégate, et une corvette qui s’étaient ancrées la veille à deux lieues sous l’Est.
La flottille à continuée sa marche, et le commandant a donné ordre de mouiller à deux heures, à une demie-lieue dans l’Est, à 3 heures trente le commandant a donné ordre aux canonnières de s’approcher des îles à portée de canon, mais la flottille fut accueillit par un feu violent quoique éloigné d’un grand quart de lieue des îles, les boulets dépassèrent bien au delà la flottille, ce qui détermina le commandant à faire mouiller et fit en même temps le signal aux bateaux plats d’attaquer de concert.
Les chaloupes canonnières ont employé un temps trop considérable à prendre leurs ordres, et pendant ce temps l’ennemi faisait un feu très vif de toutes les parties des îles, sur la flottille et particulièrement sur les bateaux plats qui s’approchaient le plus. Ceux-ci ont continué de marcher en ligne pour joindre le débarquement, mais s’apercevant que les chaloupes restaient mouillées excepté un bateau qui les a ralliés pour les soutenir, ils n’ont osé s’approcher et tous sont restés pendant une demie-heure
presque immobile et n’ont pas voulu débarquer, malgré l’ordre du commandant.
Cinq bateaux plats en tête de la division de droite se sont avancés de très prés des îles dans l’intention d’y aborder, ils ont longé l’îles de terre sous les boulets et la mitraille, mais n’étant pas soutenus par les autres bateaux, ils ont été obligés de s’éloigner à force rame, l’un d’eux qui a reçu cinq boulets et deux obus coulait bas, lorsqu’un des bateaux s’est approché pour sauver l’équipage et après une frégate est venue pour remorquer le bateau.
Le commandant voyant qu’un découragement général s’emparait des troupes à viré de bord pour gagner la Hougue.
Il y a cinq hommes tués et quatorze blessés dont sept dangereusement.
L’armement des îles est considérable. (SHAT 1 M 505 ).
Le commandant Muskeyn qui dirigait l’expédition écrivit au contre-amiral Lacrosse pour l’informer que durant l’attaque des îles le bateau numéro 13 qui avait été pris en remorque a en fait coulé vers 6 heures, mais que son équipage a été entièrement sauvé. Muskeyn dit avoir quatre hommes morts et 8 à 10 blessés. Il insiste pour dire que les îles saint Marcouf sont très fortifiées et possèdent de nombreuses batteries. (Arch. Nat. BB3-131 f°142 )
Le capitaine du génie, employé dans l’expédition et embarqué à bord de la canonnière « l’Eclatante » relate l’attaque en ces termes :
« La flottille était le 17 floréal mouillée sous le fort de la Hougue à 8 heures du soir, et devait aller mouiller au Sud-Ouest de île de terre. Les Anglais entendirent le bruit des avirons et donnèrent l’alarme en tirant deux coups de pierriers. La flottille a mouillée à deux heures à une demie-lieue dans l’Est des îles, et à trois heures trente le commandant Muskeyn donna l’ordre aux canonnières de s’approcher des îles à portée de canon, mais à quatre heures reçurent un feu violent.
Cinq bateaux plats ont longés l’île de terre sous une grêle de boulets et de mitraille, mais voyant que les autres bateaux ne s’approchaient pas, ils se sont éloignés à force rame : l’un d’eux le numéro 13 a été percé d’un boulet à la ligne de flottaison, ce qui força son équipage à évacuer, puis ce bateau partit à la dérive et fut ensuite remorqué par la chaloupe d’une frégate. »
Cette affaire fit grand bruit et pas du goût du contre-amiral Lacrosse, qui écrivit au ministre de la marine.
« Lettre du contre-amiral Lacrosse, inspecteur de la côte, depuis Cherbourg jusqu’à Anvers, au citoyen Bruix Ministre de la Marine et des Colonies.
La Hougue le 19 floréal an 6.
L’échec est attribué à la mauvaise conduite de certains marins, qui pourtant sont bien payés, mais ne sont pas déterminés. Le contre-amiral Lacrosse propose au ministre de dégrader
certains de ces marins et officiers, mais n’en ayant pas d’autres connus pour les remplacer, il retombe dans le même problème, et il n’est pas sûr d’en trouver d’autres.
Le capitaine Muskeyn n’a plus d’ailleurs la confiance de ses subalternes, et lorsque le général Bonaparte lui confia cette expédition, il en attendait un plus beau résultat.
Lacrosse dit avoir donné l’ordre de remettre en état le matériel et de se préparer à une nouvelle attaque. Mais un vaisseau anglais de 74 canons s’est approché des îles pour les défendre.
La quatrième demi-brigade est actuellement sous les tentes sur le rivage de la Hougue et est nourrie aux vivres de mer, ce qui fait une consommation de viande, cidre ou eau de vie considérable.
Lacrosse attend les ordres du ministre pour repartir.
( Arch. Nat. BB3-131 marine f° 137.)
En fait l’ordre d’attaquer ne sera pas donné, car la présence des navires anglais était très dissuasive et aurait sans doute fait courir d’énormes risques aux hommes de troupes.
Ceci n’empêcha pas de traduire des officiers devant le conseil militaire suite à la plainte déposée par le capitaine Muskeyn. Sur les huit officiers qui comparurent devant ce tribunal, un fut dégradé et trois subalternes condamnés à la cale. Muskeyn s’était également plaint que certains hommes du corps expéditionnaire étaient ivres durant l’attaque.
La France ne récupérera les îles saint Marcouf qu’en 1802 après la signature du traité d’Amiens.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire